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Marion Mouchard

Courant artistique né en réaction à l’Art nouveau, l’Art déco1La dénomination « Art déco » a été utilisée pour la première fois par Bevis Hillier dans son ouvrage Art Deco of the 20s and 30s (1968) en référence à l’Exposition internationale des arts décoratifs et industriels modernes de 1925. L’expression « style 1925 » désigne également l’art des années 1920. s’impose dans toutes les pratiques des arts appliqués et visuels, du début du XXe siècle à la Seconde Guerre mondiale. De nombreuses mutations ponctuent cette longévité, qui contribueront à l’hétérogénéité du style 1925.

Face aux complexes enchevêtrements des lignes « coup de fouet » du style 19002Courant artistique international, l’Art nouveau doit sa dénomination française à la galerie La maison de l’art nouveau fondée, en 1895, par Siegfried Bing. Il se caractérise par la prédominance d’une iconographie végétale, dont les artistes tirent des lignes organiques et des courbes exagérément allongées, dites « coup de fouet ». est opposée, au début des années 1910, une esthétique d’une « simplicité volontaire [et] d’une symétrie manifeste3André Véra, « Le Nouveau style », L’Art décoratif, janvier 1912, p. 30. ». La « beauté de la matière », la « justesse des proportions » et les « franches oppositions de couleurs4André Véra, « Le Nouveau style », L’Art décoratif, janvier 1912, p. 30. » sont réhabilitées. Les évolutions sociales et technologiques de l’entre-deux-guerres –⁠ démocratisation de la pratique sportive, généralisation de l’usage de multiples transports, relative émancipation féminine ⁠– conditionnent l’évolution de la silhouette et donc de la parure. Les balbutiements de ce nouveau style dans les arts joailliers apparaissent dès les premières années du XXe siècle5Citons ici les réalisations des Maisons Mellerio et Cartier, notamment sous l’impulsion de Charles Jacqueau, dessinateur œuvrant pour Cartier. Voir : Heather Ecker, Judith Henon-Raynaud, Sarah Schleuning, Cartier et les arts de l’Islam, cat. expo., Paris, MAD (21 octobre 2021-20 février 2022), Paris, Éditions MAD, 2021..

Broche Anneau lambrequin, 1919. Platine, émeraudes, onyx et diamants.

Les prémices de l’Art déco chez Van Cleef & Arpels

LA COLLECTION ÉMERAUDES-ONYX-DIAMANTS

LA COLLECTION ÉMERAUDES-ONYX-DIAMANTS

L’émergence du mouvement Art déco accompagne l’essor de Van Cleef & Arpels, en atteste l’un des premiers ensembles créatifs de la toute jeune Maison. Initiée en 1919, la collection « émeraudes-onyx-diamants » applique à des bracelets et des broches un langage formel simplifié et des agencements symétriques. Le caractère novateur de cet ensemble réside également dans le contraste créé par l’association de trois gemmes –⁠ l’onyx, le diamant et l’émeraude ⁠–, alors que « jusqu’ici on n’avait osé assembler que deux couleurs ».

Bracelet, 1924. Platine, émeraudes et diamants, 180 × 8 mm.

Motifs d’oreilles pampilles, 1923. Platine, émeraudes et diamants, 65 × 18 mm.

Ce premier témoignage de l’adhésion de Van Cleef & Arpels à l’esthétique Art déco coïncide avec l’arrivée d’Émile Puissant qui, dès 1918, confère une nouvelle impulsion stylistique et commerciale à la Maison. Par leur richesse créative, les productions de Van Cleef & Arpels, entre 1919 et le début des années 1930, sont représentatives des évolutions et de la pluralité du courant Art déco.

L’héritage du XVIIIe siècle

Les premières manifestations de l’Art déco, dans les années 1910, témoignent d’une esthétique nettement traditionaliste. Afin de renouveler les arts décoratifs français, les créateurs puisent dans le répertoire stylistique de l’Ancien Régime, regardant notamment vers le style Louis XVI. Ils empruntent ainsi aux XVIIe et XVIIIe siècles des motifs naturalistes « group[és] en […] corbeille ou tress[és] en […] guirlande6André Véra, « Le Nouveau style », L’Art décoratif, janvier 1912, p. 32. », mais dans une stylisation plus ou moins affirmée. Ces réminiscences, que l’on observe chez des couturiers comme Paul Poiret ou des ensembliers comme André Groult, se retrouvent dans l’œuvre de Van Cleef & Arpels à l’aube des années 1920.

Georges Lepape, « Les Jardins de Versailles. Costumes de Paul Poiret dans le goût de Louis XIV », La Gazette du bon ton, 1912-1913.

En 1922, apparaît notamment un motif de rose en diamants taille brillant, répété en frise au dos d’un peigne. Ce dessin floral aux contours simplifiés, qui évoque celui élaboré par Paul Iribe dès 1908, est également repris sur des bracelets bandeaux. Cette typologie du bandeau favorise la récurrence, rigoureusement symétrique, du décor. Réalisés en platine et diamants taille brillant, ces bracelets témoignent de l’application de cette iconographie traditionnelle à une production particulièrement luxueuse caractéristique du premier Art déco. La décomposition géométrique de la fleur cohabite avec une plus grande fidélité de la représentation florale.

Paul Iribe, Les Robes de Paul Poiret, 1908.

Pancarte-produit d’un peigne, 1923.

Pancarte-produit d’un bracelet, 1925.

Pancarte-produit d’une broche, 1928.

Il en va ainsi d’une broche inscrivant dans un cadre ovale trois têtes de fleurs serties de diamants et de rubis mais aussi et surtout dans un ensemble de bijoux présentés par Van Cleef & Arpels à l’Exposition internationale des arts décoratifs et industriels modernes de 1925 à Paris. À l’occasion de cette manifestation –⁠ à laquelle participe vingt et un pays et qui accueille pas moins de quatre mille visiteurs dès le jour de son inauguration, le 28 avril 1925 au Grand Palais ⁠– la Maison est gratifiée d’un Grand Prix pour un bracelet et une broche dans laquelle s’enlacent deux roses, l’une en rubis suiffés, l’autre sertie de diamants taille brillant.

1925
L’exposition internationale des arts décoratifs et industriels modernes
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Si la rose est un ornement de choix pour la Maison dans les années 1920, les paniers de fleurs sont adaptés à la même époque à de nombreuses typologies de bijoux : montres châtelaines, broches, broches montres et pendentifs. Certains de ces bijoux sont interprétés en joaillerie blanche tandis que d’autres, plus nombreux, se parent de couleurs grâce à l’emploi de rubis, saphirs et émeraudes gravés. Ces dernières, issues de la tradition joaillière indienne, prennent la forme de feuilles ou de fleurs. On retrouve ce type de motifs végétaux sur une broche Corne d’abondance, dont le sujet est lui aussi issu du vocabulaire ornemental des XVIIe et XVIIIe siècles.

LES ORNEMENTS PANIERS DE FLEURS

Clip Corne d’abondance, 1929

Clip Corne d’abondance, 1929

Créé en 1929, ce clip représente une corne d’abondance en platine et diamants, qui s’achève en volute. À l’une de ses extrémités se déploie un bouquet ajouré, aux fleurs dotées de corolles en émeraudes, saphirs et rubis gravés, ponctuées de perles. Symbole de prospérité et d’une nature généreuse, la corne d’abondance est un motif récurrent de l’iconographie du xvıııe siècle, inscrivant ce clip dans le courant traditionnaliste de l’Art déco.

Un intérêt prononcé pour les arts extra-européens

La référence à « la tradition française7André Véra, « Le Nouveau style », L’Art décoratif, janvier 1912, p. 31. » cohabite néanmoins avec un intérêt pour les arts extra-européens favorisé par l’accroissement des échanges internationaux. Alors que l’Art déco connaît ses premiers développements au début des années 1910, la scène artistique parisienne assiste aux premières représentations des Ballets russes. Leur riche répertoire iconographique s’étend de l’Égypte ptolémaïque (Cléopâtre) à la Perse onirique des contes des Mille et Une nuits (Shéhérazade), en passant par « l’Inde fabuleuse8Jean Cocteau, Frédéric de Madrazo, Programme officiel des Ballets russes, Paris, M. de Brunoff, 1912. » du Dieu Bleu.

Ces visions théâtrales suscitent une forte fascination pour un ailleurs pluriel et généralisé ; attrait qui transparaît largement également dans le domaine des arts appliqués. Que l’on songe aux appartements du couturier Jacques Doucet, dans lesquels se mêlaient un meuble d’appui de Paul-Louis Mergier réinterprétant les cabinets chinois, un vide-poche égyptisant et des chaises africaines de Pierre Legrain.

Pierre Legrain, vide-poche, 1916. Acajou laqué noir, rouge et or. Paris, musée des Arts décoratifs.

Les créateurs de mode reprennent eux aussi dans leur vestiaire l’éclectisme géographique et culturel ambiant.

Georges Lepape, « Antinéa. Manteau du soir de Paul Poiret », La Gazette du bon ton, 1920.

De même, les « dessinateurs de bijoux […] regard[ent] […] vers l’Orient9[France. Ministère du Commerce, de l’industrie, des postes et des télégraphes], Exposition internationale des arts décoratifs et industriels modernes, Paris 1925 : rapport général. Section artistique et technique, vol. IX, Parure (Classe 20 à 24), Paris, Librairie Larousse, 1927, p. 86. ». Cet Orient, indistinct et vaste, comprend aussi bien l’Égypte, l’Inde, la Chine et le Japon. Il apparaît dans la production de Van Cleef & Arpels dès l’extrême fin des années 1910 avec les premières broches agrafes à têtes lotiformes et papyriformes. Dès lors, la Maison entend conjuguer à la joaillerie traditionnelle occidentale des formes, matériaux et iconographies orientales. Les inrō10Petites boîtes originaires du Japon portées par les hommes. Elles étaient accrochées à la ceinture du kimono par une cordelette., en particulier, inspirent de nouvelles typologies de nécessaires de dame au début des années 1920. De forme rectangulaire ou en pochette durant la décennie précédente, ces contenants deviennent cylindriques et sont reliés par une chaîne à un anneau, comme dans les boîtes japonaises traditionnelles.

DESSINS DE NÉCESSAIRES

Les premières réalisations reprennent les motifs néoclassiques de la joaillerie blanche et adoptent un décor bichrome –⁠ émail noir et diamants ⁠– hérités des années 1910. Puis peu à peu, ces nécessaires sont incrustés de décors figuratifs en laque ou de pierres ornementales sculptées. L’intérêt pour les arts asiatiques et africains favorise la riche diversité matérielle qui caractérise les arts décoratifs des années 1920, notamment dans les arts joailliers. Les dessinateurs et les artisans œuvrant pour la Maison « étudi[ent] comment l’Asie emploie des jades, des coraux, des émaux, des perles afin d’obtenir des effets de couleurs particuliers11[France. Ministère du Commerce, de l’industrie, des postes et des télégraphes], Exposition internationale des arts décoratifs et industriels modernes, Paris 1925 : rapport général. Section artistique et technique, vol. IX, Parure (Classe 20 à 24), Paris, Librairie Larousse, 1927, p. 86. ». Lorsque les contraintes induites par l’échelle du bijou proscrivent l’utilisation de ces matières, celles-ci sont imitées au moyen d’émaux colorés.

Les arts de ces horizons lointains offrent également un vaste répertoire figuratif. « Les ornements magnifiques […] [des] bronzes archaïques de Chine » sont adaptés sur des étuis à cigarettes et des nécessaires « pour en tirer des effets d’une puissante simplicité ». La multiplicité des sources iconographiques inspire des bijoux aux typologies variées –⁠ sautoirs, broches, montres châtelaines, bracelets ⁠– mais dans lesquels on retrouve une facture commune. Ceux-ci « reprodui[sent] en pierres de couleur, [rubis, émeraudes et saphirs suiffés] sur un fond de brillants, des personnages […] [et] motifs […] empruntés à […] [des bas-reliefs] égyptiens12[France. Ministère du Commerce, de l’industrie, des postes et des télégraphes], Exposition internationale des arts décoratifs et industriels modernes, Paris 1925 : rapport général. Section artistique et technique, vol. IX, Parure (Classe 20 à 24), Paris, Librairie Larousse, 1927, p. 86. », à l’orfèvrerie indienne ou aux estampes japonaises.

Pancarte d’atelier d’un nécessaire, 1926. Gouache et crayon sur papier cartonné.

Le « style cubiste »

Parallèlement à cette iconographie figurative se développe un vocabulaire décoratif purement abstrait, composé de formes géométriques simples inspirées du cubisme13[France. Ministère du Commerce, de l’industrie, des postes et des télégraphes], Exposition internationale des arts décoratifs et industriels modernes, Paris 1925 : rapport général. Section artistique et technique, vol. IX, Parure (Classe 20 à 24), Paris, Librairie Larousse, 1927, p. 86.. Les liens entre cette seconde esthétique de l’Art déco et les avant-gardes du début du siècle s’observent dès les années 1910. Ils se cristallisent sous la forme d’une réalisation collective, la Maison cubiste, qui témoigne des relations entretenues entre les acteurs de différentes pratiques artistiques. Présentée au Salon d’Automne de 1912 dans la section « art décoratif », cette œuvre, conçue par le sculpteur Raymond Duchamp-Villon, le décorateur André Mare et les peintres Fernand Léger, Albert Gleizes et Jean Metzinger, offre une version cubiste de l’architecture et du design.

Raymond Duchamp-Villon, maquette de la Maison cubiste, 1912. Paris, Centre Georges-Pompidou –⁠ musée national d’Art moderne.

Cette même année, Gleizes et Metzinger théorisent le cubisme dans la publication de leur manifeste14Albert Gleize, Jean Metzinger, Du cubisme, Paris, Eugène Figuière, 1912.. Dès lors ⁠– et bien que l’intérieur de la Maison cubiste imaginé par André Mare soit encore empreint d’une certaine tradition mobilière –, les compositions angulaires et géométriques du cubisme trouvent un écho dans la stylisation et le dépouillement ornemental des arts décoratifs des années 1920.

Francis Jourdain, « Éclairages pour un salon », Répertoire du goût moderne, 1928-1929.

C’est ainsi que les joailliers puisent dans ce nouveau répertoire pour composer des bijoux aux « formes simples et robustes, [et aux] lignes nettes ». Celles-ci sont rehaussées par des « couleurs franches, heureusement harmonisées15[France. Ministère du Commerce, de l’industrie, des postes et des télégraphes], Exposition internationale des arts décoratifs et industriels modernes, Paris 1925 : rapport général. Section artistique et technique, vol. IX, Parure (Classe 20 à 24), Paris, Librairie Larousse, 1927, p. 86. ». Van Cleef & Arpels déploie de préférence ces motifs sur la longueur de « bracelets souples et larges », devenus « le bijou à la mode16« L’Exposition des arts décoratifs », Vogue Paris, juin 1925, p. 49. » de cette décennie. L’enchevêtrement angulaire de lignes droites est rendu possible grâce à la grande variété de tailles des pierres : le brillant, de forme ronde, est associé à la taille baguette, de forme rectangulaire. Le serti calibré fait adopter aux gemmes des contours géométriques. Les jeux sur les oppositions de formes peuvent être soulignés par des contrastes chromatiques : des pierres d’une même couleur –⁠ saphirs, rubis ou émeraudes ⁠– dessinent un décor sur un pavage de diamants.

Pancarte-produit d’un bracelet en diamants et saphirs, 1924.

Ce jeu de contrastes colorés se retrouve également sur des bracelets bandeaux au dessin plus traditionnel. De fait, le nouveau style géométrique, loin de remplacer les décors néoclassiques, coexiste avec des styles plus anciens. Cela se perçoit particulièrement dans l’ensemble pensé par Van Cleef & Arpels pour l’Exposition internationale des arts décoratifs de 1925. Lorsque l’on considère les projets soumis au comité de sélection, deux esthétiques se dégagent : les bijoux présentant des « roses rouges et blanches » sont accompagnés d’une série de bracelets souples –⁠ deux en joaillerie blanche et deux ornés de saphirs ⁠–, exemplaires des applications du cubisme aux arts joailliers.

PANCARTES-PRODUITS DE BRACELETS

Un cinquième bracelet sélectionné pour l’exposition17Ce bracelet est illustré dans le rapport général de l’exposition, voir : [France. Ministère du Commerce, de l’industrie, des postes et des télégraphes], Exposition internationale des arts décoratifs et industriels modernes, Paris 1925 : rapport général. Section artistique et technique, vol. IX, Parure (Classe 20 à 24), Paris, Librairie Larousse, 1927, p. 86. se distingue des quatre autres par la largeur de son bandeau. Cette différence s’observe également sur un autre bracelet, ponctué de cabochons d’émeraudes, dont le dessin comporte également le tampon de la classe XXIV18La classe XXIV est celle dédiée à la bijouterie et à la joaillerie à l’Exposition internationale des arts décoratifs et industriels modernes de 1925. Certains gouachés conservés par la Maison portent le tampon du « Président de la Classe 24 ». Toutefois, nous ne pouvons affirmer que ce tampon est le marqueur de la présentation effective du bijou représenté. Même si le règlement de l’exposition mentionne que l’admission d’une œuvre « sera prononcée préalablement sur des dessins très précis », nous ne pouvons affirmer avec certitude que ce tampon fasse office de validation définitive du comité de classe.. Tout en conservant les principes de bichromie et de stylisation, ce bijou laisse entrevoir une évolution : les unités rectangulaires finement articulées de manière invisible au dos des bracelets bandeaux font place à des maillons clairement délimités qui gagnent en proportions.

Pancarte-produit d’un bracelet en diamants, 1926.

La joaillerie à l’Exposition de 1929

Suite au succès de l’Exposition de 1925, Van Cleef & Arpels porte son attention créative sur une autre manifestation : l’exposition consacrée aux arts de la bijouterie, joaillerie et orfèvrerie qui se tient au Palais Galliera en 1929. Les réalisations de la Maison se distinguent alors par des surfaces empierrées d’une plus grande ampleur, au service d’une opulence joaillière. Tout en conservant la « logique rigoureuse19« La Somptueuse féérie des bijoux », Vogue Paris, janvier 1930, p. 49. » développée dans la première moitié des années 1920, ces pièces offrent une « richesse de composition20« La Somptueuse féérie des bijoux », Vogue Paris, janvier 1930, p. 49. » jusqu’alors inédite dans la Maison. « Le goût de la pierre pour elle-même est plus marqu[é] » et en conséquence, « elle est employée avec moins d’encadrement21« La Somptueuse féérie des bijoux », Vogue Paris, janvier 1930, p. 49. ».

Paris, 1929
Les Arts de la bijouterie, joaillerie et orfèvrerie Palais Galliera
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Sont ainsi privilégiées les gemmes cabochons en serti clos et les poires en pendeloque, afin de rendre la monture la moins visible possible. Par leur volume, les pierres confèrent aux bijoux de la fin des années 1920 une nouvelle tridimensionnalité, bien qu’encore timide. Elles ornent des pendants d’oreilles, des broches et des colliers aux multiples portés.

Dessin publicitaire de Charles Martin illustrant des bijoux Van Cleef & Arpels, Harpers’s Bazaar, 1930.

Dessin d’un collier, c. 1930. Gouache et crayon sur papier calque.

Pancarte-produit de pendants d’oreilles Pampilles en rubis et en diamants, 1930.

L’une des innovations majeures apportées par Van Cleef & Arpels, en cette fin des années 1920, est un renouvellement des formes joaillières induisant une ingénieuse diversité dans le port du bijou. Les bracelets se boutonnent, par exemple, en brassard sur le haut du bras grâce à un cabochon d’émeraude, tandis que le sautoir, privilégié au début de la décennie, laisse place, à partir de 1928, à la « tendance de raccourcir les colliers22« La Somptueuse féérie des bijoux », Vogue Paris, janvier 1930, p. 49. ». Les collerettes forment des cascades de poires d’émeraudes ou de rubis, aussi bien de face que dans le dos. Il en va de même pour les tours de cou, qui présentent un pendentif à l’avant comme à l’arrière. Plus encore, les colliers cravates –⁠ composés d’un ruban joaillier noué en trompe-l’œil ⁠– illustrent une nouvelle façon de parer le buste.

Page extraite de Voyage en France, 1er janvier 1929.

Dessin d’un sautoir, c. 1927. Gouache et crayon sur papier calque.

Page extraite de L’Art vivant, 1er janvier 1929.

Bien que la bichromie du début de la décennie soit toujours présente, d’autres pierres sont utilisées par les joailliers : la turquoise et le corail sont chacun associés à des montures en joaillerie blanche. Des combinaisons plus audacieuses sont également expérimentées, à l’instar de la turquoise et de l’émeraude déclinées sur un ensemble de bijoux –⁠ broche, bracelet, chaîne et pendentif ⁠– choisi pour être exposé en 1929 au Palais Galliera. Ces innovations s’inscrivent en réalité dans l’héritage de la joaillerie traditionnelle des XVIIIe et XIXe siècles. Les efforts de simplification par l’intermédiaire de formes géométriques sont appliqués à une joaillerie blanche agencée autour de gemmes de centre. À la même époque, les bijoutiers de l’Union des artistes modernes (UAM) –⁠ mouvement fondé en 1927 ⁠– entendent revaloriser l’art des métaux et introduisent des volumes encore inédits dans les arts joailliers.

Vers le modernisme

De fait, « être moderne [en 1929] ne consiste pas à se servir de formules dites modernes avec l’ancienne mentalité du décor23Raymond Templier, « L’Art de notre temps », Revue de la Chambre syndicale de la bijouterie, de la joaillerie, de l’orfèvrerie de Paris et des industries qui s’y rattachent, 1928, p. 15. », il s’agit plutôt de questionner les habitudes matérielles héritées des siècles passés. Pour les partisans du modernisme, « la valeur marchande ne doit pas intervenir pour déterminer la beauté du bijou24Jean Fouquet, « Du bijou », Revue de la Chambre syndicale de la bijouterie, de la joaillerie, de l’orfèvrerie de Paris et des industries qui s’y rattachent, 1928, p. 17. ». Ils soulignent ainsi que « dans leur désir louable de “faire moderne”, [les] exposants de Galliera se sont laissés hypnotiser par le succès de la grande joaillerie 25Jean Fouquet, « Du bijou », Revue de la Chambre syndicale de la bijouterie, de la joaillerie, de l’orfèvrerie de Paris et des industries qui s’y rattachent, 1928, p. 17. ». Il faut attendre le début des années 1930 et les répercussions du krach boursier américain sur l’économie française pour trouver les premières traces d’adhésion de Van Cleef & Arpels au modernisme.

Tandis que les somptueuses parures de 1929 sont démontées seulement un an après leur fabrication afin de récupérer les matières précieuses, la Maison initie des séries de bijoux dits « fantaisie ». Cette dénomination qualifie l’emploi de gemmes et de métaux jugés moins précieux : il en va ainsi de l’osmior –⁠ alliage d’or, de cuivre, de nickel et de zinc imitant le platine ⁠– ou de pierres ornementales, tels le lapis-lazuli, la malachite ou l’agate.

Cette production illustre en outre une réévaluation des « techniques du bijoutier26Anonyme, « Nouvelle réflexions sur la bijouterie à Galliera », Revue de la Chambre syndicale de la bijouterie, de la joaillerie, de l’orfèvrerie de Paris et des industries qui s’y rattachent, 1929, p. 11. », qui promeuvent les qualités du métal à la différence de la joaillerie, valorisant quant à elle l’art de monter les gemmes. Les fermoirs de sac, en particulier, présentent d’importantes surfaces métalliques non empierrées, animées grâce à la riche « gamme de couleurs que donnent [les alliages]27Anonyme, « Nouvelle réflexions sur la bijouterie à Galliera », Revue de la Chambre syndicale de la bijouterie, de la joaillerie, de l’orfèvrerie de Paris et des industries qui s’y rattachent, 1929, p. 11. ». La notion « d’opposition de valeurs » est au centre des préoccupations des modernistes : « L’architecture du bijou doit rendre des effets […] de lumière, de couleurs, […] de plans, de volumes28Jean Fouquet, « Du bijou », Revue de la Chambre syndicale de la bijouterie, de la joaillerie, de l’orfèvrerie de Paris et des industries qui s’y rattachent, 1928, p. 17.. »

Pancartes-produits de fermoirs clips, 1930.

La tridimensionnalité expérimentée par la joaillerie de 1929 s’accentue durant les premières années de la décennie suivante : « Un bijou doit être envisagé comme des volumes dans l’espace et doit être visible sous tous les angles possibles29Raymond Templier, « L’Art de notre temps », Revue de la Chambre syndicale de la bijouterie, de la joaillerie, de l’orfèvrerie de Paris et des industries qui s’y rattachent, 1928, p. 15. ». C’est pourquoi, « on ne doit pas dessiner un bijou seulement de face, mais aussi en perspective, de façon à en percevoir les plans30Raymond Templier, « L’Art de notre temps », Revue de la Chambre syndicale de la bijouterie, de la joaillerie, de l’orfèvrerie de Paris et des industries qui s’y rattachent, 1928, p. 15.. » En attestent quelques croquis, produits en 1930 par les dessinateurs œuvrant pour la Maison, sur lesquels on voit des bagues représentées sous trois angles différents – de face, de profil et en vue plongeante.

Pancarte-produit d’une bague en diamants, 1930.

En somme, le bijou moderne appelle à une communion de toutes les pratiques artistiques : « Pour être joaillier-créateur, il faut être un peu peintre, sculpteur et même architecte, car il importe qu’un bijou soit étudié […] du point de vue de la couleur et de la forme31Éric Bagge, « Le Bijou moderne », Revue de la Chambre syndicale de la bijouterie, de la joaillerie, de l’orfèvrerie de Paris et des industries qui s’y rattachent, 1928, p. 19.. » En témoigne un ensemble de tours-de-cou fantaisie, créé en 1930, dans lequel couleur et forme se définissent mutuellement. Agençant sur un ruban de cuir des motifs métalliques émaillés rehaussés de pierres ornementales en haut-relief, ces bijoux font dialoguer volumes affirmés et couleurs vives afin d’amplifier les effets de contrastes. Toutefois, à l’instar des parures de 1929, ces tours-de-cou sont à leur tour démontés. Peu d’exemplaires sont achetés au cours des années 193032En revanche, quelques modèles furent acquis plusieurs décennies plus tard, en 1971 et 1973., possiblement du fait de leur typologie combinée au caractère avant-gardiste des matériaux et des formes. Les bijoux non vendus sont transformés en bracelets, ornements moins ostentatoires qu’un ras-de-cou.

1930

Tour de cou fantaisie

L’histoire du Tour de cou Fantaisie

La postérité d’un style

Le mouvement Art déco a fortement contribué au renouvellement des arts joailliers, non seulement durant les années 1920 mais aussi dans celles qui suivront. Lorsqu’en 1933 la Maison redirigera sa production vers des compositions plus joaillières –⁠ après l’éphémère parenthèse du modernisme ⁠–, elle se réfèrera au langage géométrique de la fin des années 1920. La bijouterie et la joaillerie Art déco connaîtront une postérité dans la seconde moitié du siècle, à partir des années 1960, sous la forme d’un prolifique revival incitant Van Cleef & Arpels à renouveler sa création.

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