Bracelet Ludo
Pièce iconique d’une production alliant art bijoutier et production sérielle, le bracelet Ludo est également le grand témoin des évolutions tant stylistiques que typologiques que connaît la joaillerie sur plusieurs décennies.
Appelée Ludo en référence au surnom donné à Louis Arpels, cette création souligne la place majeure de ce dernier au sein de la Maison, qu’il a intégrée en 1912.
Le tout premier bracelet Ludo, commercialisé par Van Cleef & Arpels en 1934, se caractérise par une maille dont l’extrême souplesse résulte d’un système de briquettes en or jaune poli, imbriquées par alternance selon un schéma semblable à l’appareil en panneresses utilisé en architecture. Les deux terminaisons du bracelet sont fixées l’une à l’autre par une boucle rectangulaire sertie de cinq brillants, assimilant ainsi le bracelet à une ceinture. Sur cette base de maillage, s’ajoutent des ornements qui apportent des variations de couleurs et de formes. Le modèle reproduit ici se termine sur un cabochon de saphir ovale en serti clos à partir duquel se développent des enroulements dentelés de diamants taille brillant montés sur or jaune. Ce motif au profil chantourné évoque, tant par la complexité de ses contours ajourés que par le choix de gemmes blanches, des ouvrages de dentelle ou de guipure. Les archives de la Maison témoignent de la grande diversité du langage ornemental déployé sur les bracelets Ludo. Aux variations de volutes et de rinceaux stylisés répondent des déclinaisons de pierres, dont le nombre, la taille ou la couleur varient à l’infini, offrant ainsi à partir d’un même schéma artistique de nombreuses alternatives, toutes singulières.
Sérialisme et fonctionnalisme
Cette idée de déclinaison formelle d’un même bracelet fait écho à une nouvelle approche de la production qui émerge dans les arts décoratifs au cours des années 1920 et 1930. Exaltés, entre autres par Walter Gropius au Bauhaus, sérialisme et fonctionnalisme incitent les créateurs de mobilier à imaginer des partenariats avec le monde de l’industrie afin de diffuser à grande échelle leurs œuvres et de les démocratiser – en témoigne le mobilier dessiné par Marcel Breuer ou René Herbst produit par la société Thonet1Pour le premier prototype du fauteuil Club B3, Marcel Breuer crée à Berlin en 1926 avec Kalman Lengyel, également membre du Bauhaus, Standard Möbel, qui sera racheté par la société autrichienne Thonet en 1929. Cette dernière poursuivra le partenariat avec Breuer. ou encore Labormétal, dès les années 1920. Les arts bijoutiers et joailliers s’en feront l’écho à l’aube des années 1930, consécutivement à la crise financière de 1929.
La production en série appliquée à la création Van Cleef & Arpels
C’est dans ce contexte que la Maison Van Cleef & Arpels s’intéresse à la question de la production sérielle et commence à produire des pièces qui, à partir d’un schéma commun, peuvent se décliner en de multiples variations. Il en va ainsi du clip Cercle, dès 1930, de la montre Radiateur en 1931, ou encore du bracelet Ludo en 1934, dont la maille briquette est fabriquée au mètre par des ateliers italiens.
L’évolution du bracelet Ludo
À cette recherche de déclinaisons, s’ajoute pour le bracelet Ludo le souhait, dès 1935, d’expérimenter de nouvelles techniques d’emmaillement. Le bracelet présente ainsi un système de maillage en unités hexagonales en remplacement des briquettes rectangulaires. Chaque hexagone est souligné d’une gemme en son centre. Les motifs de boucle, qui ornent les extrémités du bracelet, sont eux aussi redessinés. Aux dentelles, stylisées, toutes en courbes et finement ajourées, se substituent de simples motifs géométriques imbriqués. Le contraste puissant des volumes est renforcé par l’emploi du pavage et de la technique du Serti Mystérieux, qui composent de grandes plages colorées et uniformes.
INVENTION DE LA TECHNIQUE DU
SERTI MYSTÉRIEUX
À l’instar du clip Cercle, bien que dans une moindre mesure, le bracelet Ludo témoigne de la double inspiration dont peut se prévaloir une création. En effet, si le bracelet Ludo, dans sa forme initiale, se réfère à un vocabulaire ornemental dentellier bien établi et usité depuis plusieurs siècles, la seconde version emprunte aux dictats proclamés par l’Union des artistes modernes qui prônent simplification et dépouillement.
Les déclinaisons du bracelet Ludo
Le bracelet Ludo va également donner naissance à des déclinaisons typologiques avec la conception de bagues en 1935, puis de clips sur le modèle du Ludo hexagone en 1936. Les volumes architecturés de la version hexagonale se prêtent de fait à de nombreuses adaptations, que ce soit sous forme de bagues ou de motifs d’oreilles, composant ainsi des parures. Suivront, en 1937, des montres bracelets à emmaillage hexagonal.
Par leurs variations, tant stylistiques que typologiques, les bijoux Ludo tiennent une place majeure dans la production Van Cleef & Arpels de la seconde moitié des années 1930. Les nombreuses possibilités de déclinaisons vont assurer leur postérité durant la décennie suivante et contribuer à faire du Ludo une collection importante dans l’histoire de la Maison. Celle-ci atteste des capacités d’adaptation de Van Cleef & Arpels aux fluctuations économiques et aux apports techniques de son temps, tout en conservant sa vivacité créative.