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Marion Mouchard

Pratique consistant à réinvestir les styles anciens, l’historicisme trouve ses pleins développements théoriques et artistiques au XIXe siècle. Le corpus de référence, jusqu’alors relativement limité à l’Antiquité grecque et romaine, s’ouvre désormais au Moyen Âge, à la Renaissance et au XVIIIe siècle1Pour une étude française dédiée aux historicismes appliqués aux arts décoratifs du XIXe siècle, voir : Anne Dion-Tenenbaum, Audrey Cay-Mazuel, Revivals. L’historicisme dans les arts décoratifs français au XIXe siècle, Paris, Les Arts Décoratifs, 2020..

Les arts de ces époques antérieures offrent un vaste répertoire de formes dans lequel puisent tous les champs artistiques du XIXe siècle. Au siècle suivant, les arts décoratifs poursuivent et élargissent cet éclectisme historique. L’œuvre de Van Cleef & Arpels y contribue et ce, dès 1906. Les premiers livres de débit et de marchandises nous révèlent que la Maison s’illustre tout particulièrement dans le goût pour le XVIIIe siècle. Entre l’année de sa fondation et la fin des années 1910, elle commercialise régulièrement des boutons de gilet et nécessaires dits « Louis XVI2Livre de débit, 1906-1907, n°1960, Archives Van Cleef & Arpels, Paris. ». Sous l’impulsion décisive d’Émile Puissant, les emprunts aux arts des siècles précédents se multiplient au cours des années 1920. Mais l’avènement du modernisme au début des années 1930 –⁠ mouvement se singularisant par son caractère anhistorique ⁠– marque un temps d’arrêt dans les références au passé dans les créations de la Maison. À la fin de cette décennie, l’historicisme connaît une résurgence, avant de s’imposer définitivement dans la production bijoutière et joaillière des années 1940 et 1950. Si les époques convoquées –⁠ le Moyen Âge, la Renaissance, les XVIIIe et XIXe siècles, voire même le début du XXe siècle ⁠– sont une constante, leur lecture et leur interprétation varient d’une décennie à une autre, au gré des intentions et valeurs fluctuantes dont elles sont investies.

Minaudière Impératrice Eugénie dʼaprès lʼœuvre de Winterhalter, 1942. Or jaune, émeraudes, rubis, saphirs et diamants, 175 × 95 mm.

La redécouverte du Moyen-Âge

La redécouverte du Moyen Âge et de la Renaissance, qui s’opère durant tout le XIXe siècle en France, perdure jusque dans les premières décennies du XXe siècle. Les créations de couturiers, tels Jeanne Lanvin et Paul Poiret, puisent dans un répertoire éclectique qui « ne se cantonne pas dans une seule époque » : « on y voit aussi des réminiscences de la Renaissance italienne, des lignes et de la décoration du Moyen Âge3M.H., « Lanvin et la mode à travers l’histoire », Vogue Paris, 15 novembre 1920, p. 11. ».

Illustration extraite de « Ce qu’il faut penser de la mode Moyen Âge », Vogue Paris, janvier 1923.

Chez Van Cleef & Arpels, les premiers témoignages d’un goût pour les arts médiévaux se manifestent sous forme de décors de boîtes à cigarettes et de nécessaires, créés entre 1925 et 1926. Les amples surfaces planes offertes par cette typologie favorisent les décors en panneaux narratifs inspirés d’œuvres médiévales. Ces derniers sont souvent mis en couleur grâce à l’incrustation de nacres polychromes ou, plus ponctuellement, de pierres ornementales. Si la Tapisserie de Bayeux fournit une riche source iconographique, il en va de même des arts du livre.

Nécessaire, 1925. Platine, or jaune, nacre, perle, émail et diamants, 45 × 85 × 10 mm.

Pancarte d’atelier d’une boîte à cigarettes, 1926. Gouache et crayon sur papier cartonné.

Nécessaire, 1925. Or jaune, pierres ornementales, nacre, émail et diamants, 51 × 89 × 13 mm.

Les scènes de chasses, largement répandues dans l’Orient et l’Occident médiévaux, servent ainsi de modèle pour un nécessaire. Évoquant les enluminures de Gaston Phébus, ce dernier présente une chasse à courre menée par trois veneurs – deux à cheval, sonnant leur trompe, et un à pied. La meute de chiens poursuit un cerf dans un paysage forestier sur lequel se détache un édifice castral à l’arrière-plan. Le Moyen Âge, vecteur de stylisation et d’une riche polychromie, enrichit ainsi avec ses motifs le vaste répertoire iconographique du style Art déco.

Pancarte-produit d’un nécessaire à décor de marqueterie de nacre, c. 1925-1926.

Des références à la Renaissance

Il faut attendre la seconde moitié des années 1930 pour observer à nouveau des références historicistes dans la production de la Maison. Celles-ci contribuent à la nouvelle esthétique défendue par Van Cleef & Arpels lors de l’Exposition internationale des arts et des techniques appliqués à la vie moderne de Paris en 1937.

Paris, 1937
Exposition internationale des arts et des techniques appliqués à la vie moderne
Découvrir

Pour cet événement, la Maison présente, en majesté au centre de sa vitrine, le collier Médicis dont le dessin stylisé évoque les fraises des XVIe et XVIIe siècles. Le tour de cou, formé d’un ruban de diamants calibrés, est surmonté d’un col de diamants taille baguette gradués. Cette typologie de collier porté haut sur le cou, à la manière d’un col textile, remporte un vif succès au cours de la décennie suivante. L’assimilation aux collerettes tuyautées de la Renaissance est d’autant plus prégnante que la simplification formelle du collier Médicis laisse place à des plis de dentelles d’or jaune.

Publicité pour la participation de Van Cleef & Arpels à lʼExposition internationale des arts et des techniques appliqués à la vie moderne, 1937.

Publicité pour la participation de Van Cleef & Arpels à lʼExposition internationale des arts et des techniques appliqués à la vie moderne, 1937.

Dessin du collier Médicis, 1937. Encre sur calque.

Les oeuvres d’art comme sources d’inspiration

La référence historique peut également se faire plus précise par la citation d’œuvres muséales. Il en va ainsi, en 1948, des deux clips Licorne de la collection patrimoniale, qui adaptent en volume l’iconographie de La Licorne captive, tapisserie conservée au Cloisters Museum à New York.

La Licorne captive, 1495-1505. Tapisserie en laine, soie et argent. New York, the Met Cloisters.

Clip Licorne, 1948. Or jaune, or blanc, argent, rubis, saphirs et diamants, 85 × 60 mm.

Clip Licorne, 1948. Or jaune, or blanc, rubis, saphirs et diamants, 91 × 50 mm.

De même, le clip Gladiateur, daté de 1956, offre une interprétation du bijou de Canning, pendentif exposé au Victoria & Albert Museum à Londres4La datation de ce pendentif, acquis par le Victoria & Albert Museum en 1931, était estimée vers 1580 jusqu’à sa réévaluation en 1986. On suppose à présent qu’il s’agit d’un bijou d’imitation Renaissance de la seconde moitié du XIXe siècle. Le clip Gladiateur créé par Van Cleef & Arpels témoigne ainsi du caractère parfois récursif de l’historicisme.. Substituant un gladiateur à la figure mythologique du triton, le sujet observe néanmoins la même posture. Mais à la différence du Gorgoneion porté par le triton, le gladiateur brandit un glaive en or jaune et diamants, ainsi qu’un bouclier orné d’un motif étoilé en or jaune, diamants et rubis et ourlé d’un fil d’or jaune torsadé. Sa tête également diffère, composée d’un unique diamant taille rose serti en or jaune godronné.

Clip Gladiateur, 1956. Or jaune, perle, émeraudes, rubis, turquoises et diamants, 59 × 55 mm.

Bien que les procédés techniques soient différents, on note la volonté de conserver la richesse chromatique des émaux originaux par l’emploi d’émeraudes, rubis et turquoises montés sur or jaune. Par ailleurs, les irrégularités de la perle baroque, utilisée pour restituer la musculature du torse, rend hommage à la richesse créative des bijoux de la Renaissance.

L’influence du XVIIIe siècle sur les arts et la joaillerie

Depuis le Second Empire, le XVIIIe siècle inspire les arts. Malgré l’émergence de certains mouvements stylistiques en forte opposition avec ces réminiscences jugées passéistes –⁠ tels l’Art nouveau puis le modernisme ⁠– le goût pour les styles Louis XV et Louis XVI perdure durant toute la première moitié du XXe siècle. Source d’inspiration privilégiée des acteurs du premier Art déco, la tradition artistique héritée du XVIIIe siècle français est également à l’origine d’un contre-point au modernisme durant les années 1930 : les arts de la mode sont imprégnés de « réminiscences », les jupes retrouvent de la longueur et une « ampleur très fournie » sous l’impulsion d’un retour en faveur du siècle des Lumières dont « nous sont venus les paniers, les justaucorps, […] les manteaux de Watteau5Anonyme, « Panorama des lignes et couleurs dominantes des collections », Album de la Mode du Figaro, n°2, été 1943, p. 70-71. »

Photographie extraite de « Dans les collections de demi-saison », Vogue Paris, juin 1939.

Dans l’œuvre de l’architecte et décorateur Emilio Terry, la référence au passé se double d’un certain onirisme. En résulte des fantaisies architecturales renouant avec les grands maîtres d’autrefois, d’Andrea Palladio à Claude-Nicolas Ledoux6Pierre Arizzoli-Clémentel, Emilio Terry (1890-1969), Architecte et décorateur, Montreuil, Gourcuff Gradenigo, 2013.. Celles-ci réhabilitent également l’exubérant répertoire ornemental du style rocaille, réinterprétant le mobilier de grotte et peuplant intérieurs, jardins et façades de branches de corail et de coquillages.

Emilio Terry, Maison-grotte à l’escalier, années 1930. Plume, encre noire, lavis collé en plein sur carton. Paris, musée des Arts décoratifs.

Un projet singulier et unique dans l’œuvre créative de Van Cleef & Arpels s’inscrit dans cette réinterprétation poétique du XVIIIe siècle : la Maison d’Hortense. Pensée dès 1935 comme un précieux vivarium destiné à accueillir une grenouille, elle fut transformée en objet d’art abritant des oiseaux en béryl. Les gouachés préparatoires de cette cage en or jaune laissent deviner un sol rocailleux en lapis-lazuli, ponctué d’arbres en branches de corail et de mangeoires en forme de conques. Les diverses esquisses, évoquant une cage en forme de fruit, de pavillon ou de treille, témoignent d’un historicisme teinté de surréalisme caractéristique des années 1930.

1935

Cage à oiseaux La Maison d’Hortense

L’histoire de la cage à oiseaux La Maison d’Hortense

Le motif de la fleur

Si la maison Van Cleef & Arpels adhère aux principes défendus par l’Union des artistes modernes (UAM), elle n’en néglige pas moins les iconographies séculaires de la joaillerie. Il en va ainsi, en premier lieu, du motif de la fleur, transposé aux techniques et matières joaillières. Ce dernier trouve un nouveau souffle au cours des années 1930. « Van Cleef et Arpels s’inspirent [alors] de motifs floraux traités avec la plus grande délicatesse. Ils emploient pour ceux-ci de l’or et des pierres multicolores7L’Art et la mode, n°2668, 1941, p. 65. » : saphirs jaunes et bleus, rubis, aigues-marines et topazes La Maison compose ainsi des bouquets sur le modèle des devants de corsages exécutés par les grands maîtres joailliers du XVIIIe siècle. Ils sont composés d’une ou de plusieurs « rosaces », parmi lesquelles jaillissent des « gerbes irrégulières8L’Art et la mode, n°2668, 1941, p. 65. » de boutons et de feuilles. Les tiges sont réunies par des liens d’or jaune, des rubans noués ou encore des cocardes dentelées.

Broches Bouquet

Rubans et nœuds

En parallèle, nœuds, jabots et corolles de dentelle sont déclinés individuellement. Élément ornemental apparu au XVIIe siècle et parmi les plus récurrents dans les traités joailliers du XVIIIe siècle, le nœud était alors arboré seul en devant de corsage ou en chute sur une pièce d’estomac. Stylisés pendant la période Art déco, les clips et broches Nœud font preuve d’un grand sens du détail à partir de la fin des années 1930. Les complexes réseaux de fils d’or jaune restituent les fines dentelles avec la même précision que les joailliers du XVIIIe siècle. La technique du repercé se substitue toutefois aux montures ajourées de l’Ancien Régime.

Clip Nœud dentelle, 1949. Platine, or jaune et diamants, 71 × 67 mm.

À partir de 1944, une série de clips rompt avec ces fines trames textiles. Les rubans y sont présentés pleins, en or jaune poli, se terminant en volutes. Ils empruntent une stylisation néobaroque proche de celle développée par des ensembliers de la Société des décorateurs français.

André Arbus, projet de tapis, c. 1945-1955. Graphite et gouache sur papier, 54,1 × 37 cm. Paris, musée des Arts décoratifs.

Ces clips sont également déclinés en bracelet, s’adaptant sur des chaînes proches du Tubogaz. La filiation avec le XVIIIe siècle se confirme dans le langage visuel commercial développé par la Maison. En témoigne une publicité éditée par Van Cleef & Arpels en 1944. Au premier plan, figure une femme aux cheveux relevés sur la nuque et vêtue d’une robe aux épaules plissées, parée d’un bracelet Nœud, tandis qu’à l’arrière-plan apparaît le portrait de Marie-Antoinette à la rose, exécuté par Élisabeth Vigée Le Brun en 1783. Ce face à face féminin souligne le lien esthétique revendiqué entre les deux époques.

Dessin de bracelets Rubans, 1944. Gouache et crayon sur papier cartonné.
Publicité pour un bracelet Nœud, une bague et des motifs d’oreilles, 1944.

La série Corde

La facture de ces clips et bracelets Nœud est déclinée en 1945 pour un collier. Des rubans d’or jaune poli, soulignés de diamants taille brillant, s’enroulent autour d’un tour-de-cou en maille formant deux boucles. Celles-ci s’achèvent par un autre motif issu du répertoire ornemental du XVIIIe siècle : le gland de passementerie. Les ouvrages de fils d’or appliqués à l’ameublement et aux habits de cour trouvent leurs pleins épanouissements à partir du règne de Louis XIV avant de s’imposer comme motif décoratif au XVIIIe siècle. Ils deviennent un poncif pour les créateurs des années 1940, qui puisent dans le répertoire des arts de l’Ancien Régime, à l’instar du ferronnier Gilbert Poillerat. Sur deux autres colliers similaires, les enroulements des rubans font place à des entrelacs et des volutes, convoquant un vocabulaire néoclassique plus large.

C’est avec les bijoux Corde, créés l’année suivante, que Van Cleef & Arpels fait le plus grand usage des pompons de passementerie. Si les premières versions du collier Corde présentent à leurs terminaisons des nœuds capucins, les exemplaires suivants suspendent des « pampilles » de chaînettes.

Les bijoux Corde

Les bijoux Corde

Collier Corde, 1947. Or jaune, 813 mm.

Motifs d’oreilles Corde, 1953. Or jaune et diamants, 55 mm. Ancienne collection de Son Altesse Royale la princesse Soraya d’Iran.

Collier Corde, c. 1950. Platine, or jaune et diamants, 320 mm.

Suivront, à la fin de la décennie, des motifs d’oreilles en « cascade », des bracelets et colliers Ludo à triples rangs de corde, des colliers « cordelière », tous terminés par des pompons.

Bracelet Ludo trois cordes, 1949. Platine, or jaune et diamants, 250 × 25 mm.
Bracelet Ludo quatre cordes, 1949. Or jaune et diamants, 240 × 32,5 mm.

Les bijoux de « genre ancien »

Quelques rares exemples doublent les citations ornementales d’emprunts formels. À partir de 1948 et jusqu’au début des années 1950, des poudriers « genre ancien » en or jaune sont rehaussés de panneaux à décor ciselé sur fond à croisillons guillochés, évoquant les tabatières Louis XV. Cet exemple est révélateur d’un goût pour l’ancien plus attaché à la fidélité du modèle, qui se prolongera jusqu’aux années 1950. La coexistence d’un historicisme rêvé et de citations plus littérales se remarque également dans certaines parures dont le dessin évoque la grande tradition joaillière.

Dessin d’un poudrier genre ancien, 1950. Gouache et crayon sur papier calque.

À partir de la fin des années 1930, apparaissent des colliers « genre ancien », sertissant des saphirs ovales cerclés de brillants en marguerite9La bague la plus répandue au XVIIIe siècle est la bague française, dite « Pompadour » ou « marguerite ». Celle-ci présente un chaton serti en son centre d’une pierre, autour de laquelle sont disposées des pierres de moindre dimension.. Ils sont accompagnés de bracelets et de motifs d’oreilles en pampille de même facture, en référence aux grands écrins du XVIIIe siècle. Ces pièces sont probablement inspirées par des achats de bijoux anciens et ponctuellement de pièces historiques. Il en va ainsi du Collier de la Liberté acquis par Van Cleef & Arpels en 1925 ou encore d’une parure « Louis XVI », « bel exemple de la joaillerie de cette époque », comme le souligne une publicité de 193610Anonyme, « Une magnifique parure historique », Plaisir de France, juin 1936, p. 12.. Une collerette, conçue en 1949, monte de la même manière des émeraudes facettées carrées et taillées en poire dans un entourage de « brillants taille ancienne ». La multiplication de ces parures, durant la seconde moitié des années 1940 et au cours de la décennie suivante, coïncide avec le retour des sorties en société et des apparats qui les accompagnent. Elles complètent ainsi les robes du soir richement brodées, confectionnées par des couturiers tel Christian Dior, qui renouent avec les conventions somptuaires de l’Ancien Régime.

Robe Christian Dior, c. 1948-1949. Photographie de Willy Maywald.

La joaillerie s’inspire du XIXe siècle

Siècle qui se passionne pour les arts des époques précédentes, le XIXe siècle devient lui-même sujet de réminiscences. Dès le début des années 1920, les arts du vêtement, et particulièrement les créations de Jeanne Lanvin11« Les modes Second Empire avaient déjà été lancées par Lanvin l’an dernier et eurent un tel succès qu’elle ne craignit pas de les continuer. […] Avec Poiret, ce sont les deux seules grandes maisons qui aient maintenu la ligne large du bas, la grande ampleur des jupes. », in anonyme, « Lanvin et la mode à travers l’histoire », Vogue Paris, 15 novembre 1920, p. 11., témoignent d’un goût pour le Second Empire. Ce dernier fait un retour remarqué dans la seconde moitié des années 1930 dans de multiples « robes de style » empruntes de « romantisme » par leur « décolleté Second Empire12Anonyme, « La Soie pour le soir », Très parisien, n°6, 1935, p. 10. ». La référence au XIXe siècle apparaît à la même époque chez Van Cleef & Arpels. Cet historicisme stimule un renouveau formel et iconographique qui enrichit puis supplante le style géométrique Art déco et le modernisme. Les clips et broches Bouquet s’inscrivent dans ce courant « romantique13« Bouquets très romantiques », La Femme chic, 1946. » des années 1930 et 1940.

1938

Clip Bouquet de fleurs

L’histoire du clip Bouquet de fleurs

À l’instar des arts joailliers du XVIIIe siècle, ceux du XIXe siècle offrent un vaste répertoire floral et végétal. Toutefois, là où les premiers faisaient preuve de fantaisie, les seconds se caractérisent par leur naturalisme. Nombre de bijoux témoignent d’un grand sens du réalisme, au point de laisser deviner les essences de fleurs représentées : clips et broches boutons d’or, marguerite, pavot, violettes, muguet, églantine, pivoine, anémone sont autant d’exemples de cette fidèle observation de la flore comme au siècle passé. De surcroît, quelques gouachés relèvent plus de l’étude botanique que du projet joaillier. L’héritage du XIXe siècle se perçoit autant dans l’agencement de la composition –⁠ une ou plusieurs têtes de fleurs placées au centre, flanquées de rameaux feuillagés ⁠– que dans les techniques joaillières déployées au service d’une fidélité de la représentation. Les feuilles et leurs mouvements sont finement retranscrits par une monture ajourée retenant des diamants ronds en serti griffes. Certaines pièces appliquent à la fleur une facture proche de la joaillerie du XIXe siècle, quand d’autres jouent sur les contrastes entre naturalisme des végétaux et stylisation du motif floral, synthétisant les acquis des siècles précédents et les innovations contemporaines.

Pancarte d’atelier d’une broche Muguet, 1939. Gouache et crayon sur papier cartonné.

Dessin d’un bijou représentant trois fleurs, c. 1940. Gouache et crayon sur papier calque.

Dessin de trois fleurs, c. 1940. Gouache et crayon sur papier calque.

Historicisme et transformabilité

L’historicisme contribue ainsi pleinement au retour « vers une ornementation plus proche de la nature14Plaisir de France, décembre 1936, p. 43. » opéré à partir de la seconde moitié des années 1930. Parallèlement à cette profonde rupture iconographique, on note le retour de caractéristiques techniques et formelles typiques des motifs floraux du XIXe siècle. Ainsi, de nombreuses broches Van Cleef & Arpels à motif floral, produites à cette époque, sont dotées de systèmes à transformations identiques à ceux présents sur les broches Second Empire. Dans quelques projets d’exception de la seconde moitié des années 1930, les techniques permettant la transformabilité sont mises au service d’opulentes compositions évoquant les traînes de corsage du siècle précédent. Il en va ainsi du double clip Pivoine. Cette création, présentée à l’Exposition universelle parisienne de 1937, souligne la nouvelle orientation historicisante empruntée par Van Cleef & Arpels ; ce clip était notamment présenté dans une vitrine où figurait en majesté le collier Médicis.

1937

Clip Pivoine

Cette même année 1937, la Maison créée une « guirlande » de rubans en platine formée de multiples enroulements soulignés de diamants taille brillant et baguette. Un premier projet gouaché révèle que cette composition était rehaussée de deux fleurs aux pétales de rubis et aux cœurs de diamants ronds entourés de baguettes. Il est plausible, qu’à l’instar de la pivoine du clip de 1937, cet ensemble floral était détachable du reste de la guirlande. La version définitive de ce bijou s’achève à ses deux extrémités par un nœud, l’une d’elle constituant une broche pouvant être portée individuellement. Celle-ci retient une chute de rubans de même facture.

Dessin d’une guirlande, 1947. Gouache et crayon sur papier calque.

Une publicité éditée par Van Cleef & Arpels permet de mieux appréhender le port d’un tel ornement : les deux motifs de nœuds peuvent s’agrafer en broche aux revers du décolleté d’une robe, résurgence des portés joailliers du XIXe siècle.

Dessin publicitaire pour une guirlande et une broche Flot de rubans, 1937.

Les projets de « guirlandes » à transformations, avatar des traînes de corsage, se poursuivent jusqu’à l’extrême fin des années 1940, comme en témoignent un « clip guirlande de lierre » en 1947 ou encore une « guirlande de roses » créée en 1949.

Dessin d’une guirlande, 1937. Gouache et crayon sur papier cartonné.

Les bracelets Ludo

Le bracelet Ludo, commercialisé par la Maison à partir de 1934, contribue à introduire plus de variété dans un répertoire de formes dominé depuis les années 1920 par le bracelet bandeau. Enroulant autour du poignet une maille en briquettes, il signe le retour aux techniques d’emmaillements souples du Second Empire : « De nouveau, […] les bracelets imitant le tissu se souviennent qu’Eugénie de Montijo fut impératrice des Français15Anonyme, « Bijoux nobles reflets », Album de la mode du Figaro, n°1, hiver 1942- 1943, p. 70.. »

1937

Bracelet Ludo

L’histoire du bracelet Ludo

Du reste, les bijoux Ludo reprennent la superposition en boucle de ceinture, plus ou moins simplifiée, des bracelets jarretières fort répandus au cours du siècle précédent.

Loin de se cantonner à une unique et fidèle lecture du passé, Van Cleef & Arpels livre une seconde version du bracelet Ludo. Dans cette dernière, l’héritage du XIXe siècle rencontre les compositions de formes géométriques du modernisme contemporain.

1937

Bracelet Ludo

L’histoire du bracelet Ludo

Troisième République et Belle Époque

À partir des années 1940, les citations sont de plus en plus avancées dans le siècle, au point qu’émerge un intérêt pour les années 1900. La Troisième République puis la Belle Époque deviennent de nouveaux référentiels décoratifs : la ligne sinueuse et proche du corps, parfois rehaussée de tournures, réapparaît dans les silhouettes sculptées par Christian Dior et Cristobal Balenciaga.

Convoquer la fin du XIXe siècle, voire le début du siècle suivant, consiste à revenir aux années idéalisées précédant les deux guerres mondiales. Pour les couturiers, joailliers et parfumeurs de l’immédiat après-guerre, il s’agit de s’inscrire dans l’héritage des fastueuses années qui ont vu s’épanouir les industries du luxe parisiennes. En cela, cet historicisme contribue, avec des initiatives telles que Le Théâtre de la mode, à réhabiliter Paris comme capitale des arts du paraître.

New York, 1945
Le Théâtre de la mode
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Dans l’esprit des clientes, cet historicisme renoue avec une élégance parisienne, considérée comme disparue depuis la Première Guerre mondiale. Les clips conçus par Van Cleef & Arpels à la fin de l’année 1947 et prenant pour sujet des « Parisiennes 1900 » témoignent de ce phénomène.

Dessins des clips Dame 1900 au face à main et Dame au parapluie en 1900, 1947. Gouache et crayon sur papier cartonné.

Il en est de même des bijoux « 1900 ». Si leur dénomination fait de manière évidente référence au tournant du siècle, leur iconographie –⁠ un assemblage de fleurs d’églantine ⁠– évoque la facture des œuvres joaillières de la fin du XIXe siècle.

Cette convocation de l’histoire s’affirme également dans les compositions en bouquet des « clips de corsages », ou dans la production de ras-de-cou, ou « collier de chien », forme bijoutière fort prisée durant les dernières décennies du XIXe siècle.

Les historicismes à venir dans la seconde moitié du XXe siècle

Tantôt scrupuleusement fidèles ou plutôt oniriques et fantasmés, sources de renouvellement ou réponses à un goût traditionaliste, souvent vecteurs d’affirmation artistique nationale, les historicismes de la première moitié du XXe siècle prolongent sans aucun doute ceux du XIXe siècle tout en les faisant évoluer. Ces historicismes se mêlent ainsi aux autres courants stylistiques contemporains et contribuent aux transformations esthétiques de chaque décennie. À l’aube des années 1950, le retour en grâce des années 1900 annonce les multiples revivals qui ponctueront le monde des arts dans la seconde moitié du siècle.

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